Isabelle Autissier. Après la mer, la Terre

 

Première femme à avoir accompli un tour du monde en solitaire, Isabelle Autissier, 56 ans, se consacre aujourd’hui à la défense de l’environnement. Dans "La terre pour Horizon", elle livre un plaidoyer pour transmettre aux jeunes générations son goût de la liberté et la faveur de ses engagements.

Des yeux bleus, des cheveux fous », chantait Jacques Brel. Impossible d’évoquer Isabelle Autissier, sans parler de ses yeux, bleus comme les mers du Sud qu’elle a traversées. En cette froide journée d’hiver à Paris, la navigatrice n’a pas quitté sa maison de La Rochelle pour évoquer ses exploits sportifs, ni la couleur de ses iris. Mais pour présenter « La Terre pour Horizon », un livre d’entretien, publié par la maison d’édition des Scouts de France, qui a lancé une collection intitulée « Habiter autrement la planète ». Ça tombe bien car si Isabelle n’a jamais été scout, l’écologie est, aujourd’hui, au centre de ses préoccupations. La navigatrice entame sa troisième vie avec le même appétit que les deux premières. Fin des années 70, fraîchement diplômée de l’École nationale supérieure agronomique de Rennes, la jeune ingénieure halieute se passionne pour les langoustines. Et enseigne à l’école maritime et aquacole de La Rochelle.

Rien n’est impossible

Sa passion pour la mer, elle la découvre dès 6 ans, en Bretagne, dans « La Villa de l’Océan », la maison de Lancieux (22) que la famille Autissier loue chaque été. Isabelle rêve en parcourant « La longue route », le livre référence, en littérature maritime, de Bernard Moitessier, grand voyageur des mers du Sud. Jean, le père, est architecte et adore emmener ses enfants naviguer sur le Vaurien familial. C’est Isabelle et Elisabeth les plus motivées. La mère, Marie-Thérèse, donne aux cinq filles les clés de l’autonomie et la notion de l’engagement. « Rien ne m’a été interdit et surtout pas parce que j’étais une fille. Nos parents nous ont toujours dit que tout était possible, à condition de se remonter les manches ». Les années 90 sont celles de la mer. Adieu l’enseignement, place à la compétition. La suite est connue : une mini-transat, un premier tour du monde, dix années de compétition, quatre tours du monde en tout. Un naufrage, en 1999, qui la laissera chavirée, quatre jours durant, en attendant les secours. « On lit beaucoup de choses fausses sur internet, notamment le fait que j’aurais arrêté les courses en solitaire à cause de mon naufrage. Mais c’est faux, j’avais décidé avant le départ que ce serait la dernière, j’avais envie d’autre chose et quand on se lance dans la course, ça ne laisse pas de place au reste », raconte la navigatrice, qui ferme ainsi la seconde page de sa vie.

« L’écologie, ce n’est pas une religion »

En 2009, elle devient présidente du WWF, en partant du principe que « la matière grise est la seule matière sous-exploitée » et qu’il fallait se mobiliser. Une sensibilisation à la nature et à l’écologie qui remonte à loin : « Dès ma formation d’ingénieur à Rennes, dans le milieu de la pêche, on s’est bien rendu compte qu’on allait dans le mauvais sens. L’écologie, ce n’est pas "j’y crois ou pas", ce n’est pas une religion. J’ai des bases de physique qui m’ont appris que quand on balance beaucoup de carbone dans l’air, il se passe quelque chose. Tout ça est beaucoup porté par une vision qui a cours depuis 3.000 ans : l’homme pense qu’il est au-dessus des plantes et des animaux et il s’est coupé de sa nature. La navigation m’a donné un autre sentiment : quand vous êtes en mer, vous regardez ce qui se passe, vous tentez de comprendre et de vous adapter... Pas le contraire. Cette façon de travailler, pour les marins, se construit petit à petit. Les terriens font le contraire : ils font d’abord et réfléchissent après ». Un engagement bénévole qu’elle fait comme toujours à fond, à une condition : qu’elle puisse continuer à naviguer trois mois par an, sur Ada 2, son bateau. Prochain voyage avec Erik Orsenna, pour un nouveau livre à quatre mains et avec lequel elle part explorer l’Alaska et le Détroit de Bering, dès le mois d’avril. Elle n’a plus besoin de rêver à « La longue route » de Moitessier, elle a construit la sienne.

Solitude.
« Le marin est tout sauf un solitaire. À part les deux mois de course, où j’avais la paix, on a compté 57 métiers autour d’un bateau de course ! Ce métier est fondé sur le social. Si ça n’intéressait personne, les courses n’existeraient pas. Les gens attendent que l’on raconte ce que l’on vit. Ces moments de solitude sont faits pour être partagés un jour ».

Sobriété heureuse.
« Sur un bateau, on vit une "sobriété heureuse". On ne peut pas vivre sur la mer comme sur la terre, alors on s’adapte. C’est ça qui est intéressant, être capable de s’adapter à des milieux. On s’adapte intellectuellement physiquement, on interagit avec son milieu. Je ne vis pas avec trois litres d’eau sur terre même si j’ai conscience que l’eau est précieuse. Je continue à avoir envie d’une vie plus rustique que celle que je mène aujourd’hui. On prend conscience de la rareté des ressources, on apprend aussi que l’on peut être extraordinairement heureux sans tomber dans une consommation effrénée de biens en tous genres ».

Engagement.
« Je ne crois pas à la révolution mais à l’engagement au quotidien. Il faut être proactif et se dire que chacun peut intervenir au sein d’une organisation pour faire pencher la balance et que ça peut entraîner le monde politique et économique. Un matin, on se dit que lire des bouquins et regarder la télé ne suffit pas et on se lève ».

Internet.
« Quand je n’ai pas internet à bord, ça me fait du bien, parce que dès que je suis à terre, j’ai le pouce très agile ! ». Le temps. « En écologie, c’est difficile de mobiliser les gens sur des échéances qui ne sont pas pour demain matin. Qu’est-ce qui bloque ?

Le temps.
On commence à payer, aujourd’hui, l’effet de serre que l’on a créé il y a 50 ans. Ils ont le sentiment que ça ne les concerne pas. Le prix de l’inaction est supérieur au prix de l’action. On a les solutions, il faut juste accepter de se mettre en marche ».

La politique.
« Je bosse avec les politiques, je ne suis pas dans les "tous pourris". Mais même si plusieurs grands partis m’ont fait la danse des sept voiles, j’ai toujours refusé. Ce n’est pas mon truc le pouvoir, ça m’ennuie, je n’ai pas envie d’en avoir. Je me sens beaucoup plus à l’aise dans un engagement associatif, chacun son truc ».

©de Claire Steinlen, Le Télégramme, le 10 février 2013.